Les fossés de bord de route Réunionnais : tous illégaux ? CAA Bordeaux, 20 octobre 2022, n°20BX00523

Avec l’arrêt n°20BX00523 rendu le 20 octobre 2022, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a manqué une occasion de reconnaitre une spécificité locale Réunionnaise en matière de fossés de bords de routes. Cette décision pourrait entraîner des conséquences importantes pour les collectivités de l’île.

Dans cette affaire, la requérante, en vacances à La Réunion chez son fils, s’est fracturé le poignet en chutant, de nuit et à pied, alors qu’une voiture arrivait en face, dans un fossé situé en agglomération et bordant une route départementale.

 Pour ceux n’ayant pas la chance de connaitre l’île, précisons que les fossés de bord de route y sont particulièrement profonds (surtout dans les hauteurs) afin de pouvoir prévenir les inondations de la route pendant la saison des pluies tropicales qui voit des pluies diluviennes tomber sur La Réunion.

 Ayant dû exposer un certain nombre de frais suite à sa blessure, la requérante a cherché à être indemnisée par les personnes publiques qu’elle estimait responsables. Une première tentative visant l’engagement de la responsabilité de la commune pour défaut d’entretien normal (régime de responsabilité pour faute présumée applicable en cas de dommage subi par l’usager d’un ouvrage public) s’est soldée par un échec : même située en agglomération, l’obligation d’entretien d’une route départementale repose sur le département.

La deuxième tentative, tirant les conséquences de ce premier jugement, demandait la condamnation solidaire du département et de la commune, respectivement pour défaut d’entretien normal de l’ouvrage et carence fautive du Maire dans l’exercice de ses pouvoirs de police administrative qu’il tient des articles L. 2212-2 et L. 2213-1 du Code général des collectivités territoriales.

 Seul ce dernier moyen était accueilli par le tribunal de Saint-Denis, qui a fait droit aux conclusions de la requérante à l’encontre de la commune, certes exonérée de 2/3 de la responsabilité de l’accident en raison de l’imprudence de la victime. Le défaut d’éclairage public et l’absence de signalisation du danger que constituait la présence du fossé en bord de route caractérisaient, selon le tribunal, une carence du maire dans l’utilisation de son pouvoir de police administrative visant à assurer, notamment, la sécurité publique.

 La commune décidait de relever appel de ce jugement, souhaitant voir reconnue la particularité locale en matière de bords de route : les fossés profonds étant présents sur toute l’île, par nécessité climatique, ils ne sauraient constituer un danger particulier devant être signalé aux usagers de la route. Le but était d’éviter de voir reconnue une obligation générale difficile à tenir pour les collectivités réunionnaises.

 La Cour administrative d’appel de Bordeaux a laconiquement rejeté cette argumentation par le considérant suivant :

 « La commune (…) ne conteste ni l’absence d’éclairage public, ni l’absence de signalisation du danger que constituait la présence du fossé au bord de la route, sur laquelle les piétons devaient cheminer en l’absence de trottoir. Pour s’exonérer de sa responsabilité retenue par les premiers juges (…) elle ne peut utilement faire valoir qu’à la date de l’accident, toutes les routes départementales de La Réunion auraient été non éclairées et bordées de fossés similaires, indispensables à l’évacuation des eaux de ruissellement lors des fortes pluies tropicales ».

 En revanche, cette caractéristique locale est prise en compte par le juge lorsqu’il évalue la responsabilité de la victime dans l’accomplissement du dommage. Ainsi, cette dernière « ne pouvait ignorer l’existence de fossés [comprendre : fossés particulièrement profonds] au bord des routes à La Réunion » alors même qu’elle s’y trouvait en vacances. La responsabilité de la commune a donc pu être limitée à un tiers du dommage.

 En refusant de reconnaitre une spécificité locale sur ce point précis des fossés, la Cour Bordelaise applique assez logiquement un principe d’uniformité de la règle : si le législateur ne l’a pas prévu, il n’y a pas de raison que les maires réunionnais disposent d’obligations différentes en matière de police administrative. Autrement dit, et c’est heureux, la notion de sécurité publique est la même à Poitiers ou Cilaos.

 Il pourrait être objecté que cette vision manque de pragmatisme. Dans un département soumis à des pluies diluviennes, voire à des cyclones, tous les ans de janvier à mars, le juge d’appel n’aurait sans doute pas porté atteinte à l’unité de la république en reconnaissant que les profonds fossés situés au bord de toutes les routes ne constituent pas des dangers nécessitant une signalisation ad hoc mais bien des éléments normaux, ne nécessitant pas à ce titre de signalisation particulière.

 Les enseignements de cet arrêt sont en tout cas très concrets pour les maires : pour respecter leurs obligations en matière de police administrative, il leur appartient, au sein des parties urbanisées de leur commune, et en l’absence d’espace de cheminement piéton, de faire signaler par un panneau et éclairer par éclairage public les portions de routes bordées de fossés, ces derniers étant réputés constituer un danger pour la sécurité des personnes circulant à pied.

Au-delà même des zones urbanisées, directement visées dans ce cas, la légalité des fossés de bords de route à La Réunion peut être questionnée : si les profonds fossés sont réputés constituer un danger en zone urbanisée devant être signalé spécifiquement, le juge pourrait appliquer le même raisonnement aux équipements similaires situés hors-agglomération.

 Il reviendrait alors aux collectivités de mettre en place une signalisation adaptée, sous peine de se trouver dans une situation d’illégalité ouvrant le droit à toute personne victime d’un accident de se voir indemnisée.

Article rédigé par:

Timothée GUERIN
Stagiaire

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