CE, 15.9.2022, avis n°405540 : Modification des contrats de la commande publique en cours d’exécution

Après un débat ayant animé l’été des juristes, principalement mené par articles interposés dans la revue Le Moniteur[1], et d’importantes interrogations des acteurs dans un contexte de crises successives provoquant une hausse brutale du prix des matières premières, le Conseil d’Etat saisi par la DAJ de Bercy vient de rendre un avis très attendu sur deux questions, d’inégale importance pratique, que se posaient les praticiens de la commande publique :

  • La modification « sèche » du prix du contrat en cours d’exécution est-elle permise, notamment en cas de survenue de circonstances imprévisibles ? (1)
  • L’application de la théorie de l’imprévision doit-elle respecter les cas de modification en cours de contrat prévus par le code de la commande publique ? (2)

(1) Oui : une modification portant uniquement sur le prix, sur sa formule de calcul, ou sur la durée du contrat, sans modifier le périmètre des prestations fournies, est parfaitement possible.

Il est en revanche évidemment nécessaire de respecter les conditions précisées par les articles R. 2194-1 à R. 2194-9 du code de la commande publique (CCP).

Dans le cas de modifications rendues nécessaires par des circonstances imprévues (article R. 2194-5 du CCP), le plus pertinent dans les circonstances actuelles, doivent survenir « des circonstances qu’un acheteur diligent ne pouvait pas prévoir ». Si l’acheteur est un pouvoir adjudicateur, chaque modification ne peut augmenter le prix que d’un montant maximal de 50% de la valeur du marché initial.

Le Conseil d’Etat rappelle aussi différents garde-fous : le principe constitutionnel de « bon emploi des deniers publics » issu de l’article 14 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ; le principe d’ « interdiction des libéralités », principe général du droit issu de sa célèbre décision Mergui du 19 mars 1971.

La position de l’administration sur le sujet, qui prohibait de telles modifications (via les fiches conseils de la DAJ, ou la circulaire du premier ministre du 30 mars 2022 relative à l’exécution des contrats de la commande publique dans le contexte actuel de hausse des prix de certaines matières premières), est invalidée.

(2) Non : la théorie de l’imprévision n’est pas une modification du contrat, et n’est donc pas soumise aux conditions de modification prévues par le code de la commande publique.

Le Conseil d’Etat rappelle que l’indemnité d’imprévision est versée au moyen d’une convention ad hoc et non par un avenant au contrat ; dès lors, elle ne saurait avoir pour effet de modifier les conditions d’exécution contractuelle.

Cette réponse est d’une importance pratique faible. En effet, une soumission au cadre de la commande publique aurait simplement limité le montant de l’indemnité dans certains cas. Si l’acheteur était un pouvoir adjudicateur, chaque indemnité n’aurait pu dépasser 50% du montant initial du contrat, une somme en pratique rarement atteinte, étant rappelé que la mise en jeu de l’imprévision suppose, parmi ses conditions, une augmentation des coûts due à l’évènement imprévisible de l’ordre de 1/15ème, ou 6,66%, du montant initial du marché.

* * *

En pratique : pour les cocontractants de l’administration confrontés à un bouleversement des prix de leur contrat, les deux possibilités peuvent être articulées ainsi :

En première intention, il apparait plus intéressant de rechercher un accord avec l’acheteur, afin si possible de modifier le contrat en insérant une formule de révision ou en modifiant simplement le prix (voire les deux).

Contre-indications :

  • Si la somme recherchée dépasse 50% du montant initial prévu au contrat ;
  • Si l’acheteur ne souhaite pas modifier le contrat.

En cas de désaccord avec l’acheteur, la théorie de l’imprévision étant un droit à indemnisation, c’est celle-ci qu’il faut mettre en œuvre – au besoin, par recours au juge administratif. Il est alors nécessaire de démontrer en remplir parfaitement les conditions d’application, posées par la jurisprudence, bien plus restrictives que celles permettant une modification du contrat.

Contre-indications :

  • Si les conditions précises d’application ne sont pas remplies ;
  • Si l’acheteur est une personne privée, c’est-à-dire en cas de contrat privé de la commande publique, il faut alors faire application de l’article 1195 du code civil qui n’ouvre pas de droit à indemnisation.

Enfin, une combinaison des deux éléments peut être envisagée :

  • L’application de la théorie de l’imprévision pour indemniser l’entreprise de ses pertes passées ;
  • Une modification du contrat pour introduire une formule de révision des prix pour le futur.

[1] Voir dossier publié par Le Moniteur le 14 mars 2022 ; l’article du même recensant un entretien de la directrice des affaires juridiques de Bercy, le 19 mai 2015.

Article rédigé par:

Timothée GUERIN
Stagiaire

Partager

Sur le même thème

Les élus ultramarins pourront enfin bénéficier d’une majoration de leurs indemnités de fonction au même titre que leurs homologues métropolitains

Les élus ultramarins pourront enfin bénéficier d’une majoration de leurs indemnités de fonction au même titre que leurs homologues métropolitains

« La loi doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Solennellement consacré par le premier et sixième article de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, le principe d’égalité devant la loi a été utilement mis en lumière et défendu par le Cabinet Dugoujon & Associés à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité. En effet, la rupture d’égalité dissociant les élus ultramarins de leurs homologues métropolitains sur la question de la majoration de leurs indemnités de fonctions fût déclarée inconstitutionnelle le 21 octobre 2021.

Une discothèque de Mayotte accusée de ne pas respecter les mesures sanitaires liées au Covid-19 obtient la censure de l’arrêté préfectoral ordonnant la fermeture de son établissement

Une discothèque de Mayotte accusée de ne pas respecter les mesures sanitaires liées au Covid-19 obtient la censure de l’arrêté préfectoral ordonnant la fermeture de son établissement

La crise sanitaire générée par la pandémie du Covid-19 fait peser sur les ERP (Etablissements Recevant du Public) des obligations inédites en matière d’accueil du public : celles de faire respecter au sein de leur établissement les mesures sanitaires imposées par le gouvernement pour lutter contre la propagation du virus, telles que les mesures de distanciation sociale, de port du masque de protection, et surtout de contrôle de détention auprès de leurs clients de leur pass sanitaire devenu par la suite le pass vaccinal.