Commande publique une diminution du projet de travaux de 30% de sa surface et 20% de sa valeur pendant la phase de passation constitue une modification substantielle du marché

Par l’ordonnance n°2205028 du 10 novembre 2022, le juge des référés du Tribunal administratif de Mayotte apporte une nouvelle pierre à la définition d’une notion dont il est parfois complexe de saisir les contours : la modification substantielle du marché.

Dans les faits en cause, le pouvoir adjudicateur avait engagé une procédure négociée sur le fondement du 6° de l’article R. 2124-3 du code de la commande publique. Cette disposition permet le passage en négociation à la suite d’un appel d’offres formalisé pour lequel « seules des offres irrégulières ou inacceptables (…) ont été présentées pour autant que les conditions initiales du marché ne soient pas substantiellement modifiées ».

La société requérante, évincée au stade de l’attribution des offres, estimait que les conditions permettant le recours à la négociation n’étaient pas remplies :

  • Le caractère inacceptable des offres n’était pas suffisamment démontré ;

  • Le marché avait fait l’objet, au cours de la phase de négociation, d’une évolution substantielle. 

Le premier moyen a été rejeté car mal-fondé. La production par l’acheteur d’une estimation générale préalable du montant du lot inférieure de 25% à l’offre la plus basse reçue a suffi, pour le juge, à démontrer que les offres excédaient les crédits alloués au marché et étaient bien inacceptables.

L’engagement de la procédure de négociation était donc bien permis.

Effectivement soucieux des deniers publics, l’acheteur, constatant que la négociation ne permettrait pas d’atteindre l’enveloppe budgétaire initialement fixée, a, en dernier recours, modifié le périmètre des travaux à effectuer pour susciter une dernière proposition d’offre de la part des candidats. Cette modification a amputé les travaux à réaliser d’environ 30% de leur surface. Pour l’entreprise requérante, cette diminution représentait une baisse de 20% de la valeur du marché.

Le juge des référés Mahorais a estimé qu’une diminution de cette ampleur constituait bien une modification substantielle nécessitant le lancement d’un nouvel appel d’offres.

Il a donc fait droit à la demande de l’entreprise requérante et annulé l’attribution du marché en cause.

L’intérêt de ce jugement est double.

Il permet de rappeler que la procédure avec négociation, pour les marchés dépassant les seuils européens et passés par des pouvoirs adjudicateurs, a un caractère exceptionnel. Il convient ainsi de respecter scrupuleusement les conditions de recours à celle-ci : même si les offres présentées sont trop onéreuses pour le budget de l’acheteur, ce dernier ne saurait, pendant la négociation, faire évoluer le besoin exprimé de manière substantielle afin de diminuer le coût du marché.

Il est ainsi primordial, au préalable, d’estimer au mieux le budget nécessaire à la réalisation du marché, sous peine de devoir lancer une nouvelle procédure d’appel d’offres et d’en subir les délais afférents.

Surtout, ce jugement apporte un élément chiffré permettant d’apprécier la notion de modification (et, en l’espèce, de diminution) substantielle d’un marché de travaux dans le cadre du recours à une procédure négociée prévu par l’article R. 2124-3, 6°, du code de la commande publique.

Les exemples précis sont en effet rares : la décision du Conseil d’Etat n°146011 rendue le 14 mars 1997 évoque une modification « représentant près du quart du contenu de marché », sans que l’on sache la nature du contenu modifié (surface, valeur, volume, fonction des bâtiments ? augmentation ou diminution ?).

La Cour de justice de l’Union avait, elle, estimé, sous l’empire des directives de 1993, qu’en autorisant dans tous les cas une modification du prix des offres de 10% pendant la négociation, la législation espagnole ne respectait pas le droit communautaire qui prohibait les modifications substantielles (CJCE, 13 janvier 2005, Commission c./ Espagne, C-84/03).

Reste que le seul critère du prix des offres proposées ne saurait suffire : le Tribunal administratif de Marseille a pu juger qu’une diminution du prix de l’offre retenue de 28%, ne suffisait pas à caractériser la modification substantielle (TA Marseille, 3 mai 2011, n°0906751 ; suivi en appel par la CAA, 24 février 2014, n°11MA02562). De fait, la modification du prix est susceptible de ne résulter que des actions du soumissionnaires qui a retravaillé son offre, et n’est donc pas nécessairement liée à une modification substantielle du marché de la part de l’acheteur.

C’est bien la modification substantielle des demandes de l’acheteur qui est prohibée, le prix des offres proposées ne pouvant servir, à cet égard, que d’indice corroborant l’importance de la modification.

Article rédigé par:

Timothée GUERIN
Stagiaire

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