Crise de l’eau à Mayotte : une note salée pour l’Etat français
Les habitants de Mayotte n’en finissent plus de subir leur sort. Confrontés à une crise migratoire qui engendre régulièrement des violences urbaines et une saturation des services publics à tous les niveaux, le quotidien des mahorais est à nouveau considérablement impacté par une pénurie d’eau qui fait suite à un nouvel épisode de sécheresse, mais qui trouve sa source dans une gestion désastreuse du service de production et de distribution d’eau potable.
Le syndicat mixte d’eau et assainissement de Mayotte (SMEAM), structure publique de l’île en charge de gérer le service d’accès à l’eau potable, a confié en 2008 à la société mahoraise des eaux (SMAE), l’exploitation du service dont il a la charge dans le cadre d’un contrat de délégation par affermage. Ce mode d’exécution contractuelle implique, dans ses grandes lignes, une remise au fermier de toutes les infrastructures financées et édifiées sous maîtrise d’ouvrage publique qui, en contrepartie, en assure le fonctionnement et l’entretien en se rémunérant sur les usagers.
Un problème de taille pour expliquer la situation actuelle mais qui n’est pas nouveau : l’approvisionnement en eau de l’île est presque entièrement tributaire de la pluie et Mayotte n’est dotée que de deux retenues collinaires qui sont à sec. Pour aggraver la situation, un tiers de l’eau collectée serait perdue dans le réseau de distribution. Le déficit d’infrastructures pour répondre aux besoins croissants d’une population à la démographie explosive et la vétusté des canalisations sont pointés du doigt par la chambre régionale des comptes qui constatait dans son rapport de 2019 des dépenses de fonctionnement en frais de personnel et de voyage dispendieux au mépris de la mission prioritaire du syndicat mixte. La gestion des deniers publics et de la commande publique par l’ancienne mandature du syndicat mixte est désormais dans le viseur du Parquet national financier (PNF).
Pour augmenter la capacité de stockage, la construction d’une 3ème retenue collinaire est dans les bacs depuis près de 20 ans, mais n’est toujours pas sortie de terre en raison de difficultés foncières non encore réglées. Une autre option fut mise en œuvre en 2017 dans le cadre d’un plan d’urgence impliquant toutes les autorités de l’île : réaliser des travaux d’extension de l’usine de dessalement de Petite-Terre pour produire de l’eau potable. Plutôt que de recourir à un marché de conception-réalisation, cette opération de près de 9 M€ a été confiée au délégataire dans le cadre d’un 6ème avenant qui modifie considérablement le périmètre initial du contrat et qui interroge sur sa légalité. Justifié par la nécessité de livrer l’ouvrage dès 2018 afin d’atteindre une production en eau potable de 5 300 m³ /jour, l’objectif ne fut pas atteint en raison d’une turbidité trop importante de l’eau pompée depuis le lagon.
Relevant des irrégularités dans la gestion des fonds européens qui est placée sous l’autorité de la préfecture de Mayotte, la commission européenne décide en février 2021 de suspendre ses financements. Parmi ces irrégularités, un conflit d’intérêts dans le choix de la société mahoraise des eaux d’attribuer le marché de travaux d’extension de l’usine de dessalement à SOGEA-Vinci Construction, filiale comme elle de Vinci. Cette suspension a été levée en mars 2023 avec la mise en place, via un groupement d’intérêt public (GIP) dénommé « L’Europe à Mayotte », d’un nouveau système de gestion et de contrôle sur l’usage des fonds.
Pour améliorer la qualité de l’eau avant son traitement, un décanteur doit être rajouté à l’usine de dessalement. En juillet 2022, un 8ème avenant est conclu aux termes de difficiles négociations entre le syndicat mixte et la société mahoraise des eaux pour inclure, cette fois-ci, des pénalités en cas de retard ou de non-respect de l’objectif de production fixé désormais à 4 700 m³/ jour. Le coût de cet investissement supplémentaire est pris en charge par l’Etat à hauteur de 4,1 M€.
En attendant, l’eau potable est donc distribuée aux usagers au compte-goutte par la mise en place de tours d’eau très restrictifs (un jour sur trois). Pire encore, et alors que les tarifs augmentent, la potabilité de l’eau qui sort des robinets n’est plus garantie. Sur recommandation de l’ARS, elle doit être préalablement bouillie avant sa consommation. Cette situation a pour effet corollaire et délétère de faire exploser le prix des packs d’eau, désormais plafonné par une nouvelle intervention étatique.
Face au mécontentement de la population qui s’organise en collectifs et qui somme l’Etat à intervenir plus encore dans la gestion calamiteuse du service public local de distribution d’eau potable, ce dernier a pris d’autres mesures. Depuis le mois de septembre, des millions de bouteilles d’eau sont acheminées sur l’île et distribuées gratuitement à la population. Il prendra également en charge les factures d’eau des usagers jusqu’au mois de décembre, en attendant le retour d’une saison des pluies salvatrice.
Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter les articles de presse publiés sur www.lemonde.fr (« Crise de l’eau à Mayotte : les lourdes responsabilités de l’Etat » du 20 octobre 2023 coécrit par Nathalie Guibert et Jérôme Talpin) et sur www.humanite.fr (« Mayotte : la crise de l’eau, un scandale d’Etat ? » publié le 20 octobre 2023 et écrit par Julia Hamlaoui).
Article rédigé par:
Audrey Dugoujon
Juriste senior
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